Pourquoi l’Etat doit intervenir dans la régulation économique du système de santé en France
Pourquoi l’Etat doit intervenir dans la régulation économique du système de santé en France
Les systèmes d'assurance maladie de la plupart des pays occidentaux rencontrent des difficultés liées à un accroissement des dépenses de soins de santé. Pourtant, non seulement cette augmentation des dépenses ne s'est pas accompagnée d'une amélioration significative des performances sanitaires mais au contraire elle a engendré des inégalités en matière d'accès aux soins. Les déficits abyssaux rencontrés par les systèmes de santé donnent lieu à des débats politiques sur les directions des réformes susceptibles d'en améliorer l'efficacité. Dans ces débats de politiques publiques parfois vigoureux, les points de démarcation entre les différentes approches portent essentiellement sur les rôles respectifs du secteur public et de la concurrence dans les systèmes de santé.
La droite, c'est-à-dire les partisans d'une privatisation de la santé décomposent schématiquement un système de santé de manière à isoler deux fonctions qu'ils considèrent comme essentielles : il y a d'une part la fonction d'assurance, elle porte principalement sur la prise en charge des coûts de traitement effectués par les professionnels de santé qui représentent l'offre de soin et d'autre part, la seconde fonction complémentaire régit la relation entre l'assureur et les professionnels de santé. Dans leurs analyses, rien ne distingue le schéma de fonctionnement de l'assurance maladie de celui que l'on rencontre dans d'autres types d'assurance comme l'assurance dommage (incendie). En effet, pour ces assurances, la régulation publique est relativement limitée et le rôle de l'Etat est de s'assurer que les assureurs possèdent des garanties de solvabilité en instituant une réglementation spécifique sur la co-assurance. Ainsi, pour la droite, la « santé » est un bien comme les autres et comme tous les biens ordinaires, le système des prix permet d'orienter l'offre et la demande de soin à un niveau efficace. Dans ce cadre, l'assurance maladie est un service marchand parmi d'autres et les cotisations s'établissent à leur niveau actuariel. L'intuition sous jacente à cette démarche économique est que chaque patient est capable d'effectuer de bons arbitrages et les bonnes comparaisons entre les inconvénients et les bénéfices d'un acte médicale quelconque. L'efficacité économique de cette approche suppose que chaque individu possède une bonne connaissance d'une part sur son état de santé et d'autre part sur les compétences des médecins, pharmaciens, infirmières, centres hospitaliers universitaires etc. La rationalité du consommateur de soin implique que celui-ci a une information parfaite sur sa personne, sur les différentes perspectives en terme d'offre de soins et ainsi il pourra réaliser les bons arbitrages. Dans ce cas, une privatisation[1] du marché des soins peut conduire à une allocation de ressource efficace. Mais cette privatisation ne garantie pas que tous les individus auront accès à des services de santé et de consommation médicale même minimes.
Devant la régression sociale constituée par un tel système de soins, les partisans de la privatisation du système de santé proposent souvent de cantonner l'intervention publique éventuellement pour garantir l'accès au soin. Dans ce cadre, le rôle de l'Etat pourrait se limiter à la mise en œuvre d'un système fiscal de redistribution qui donne aux individus les moyens de payer leur prime d'assurance sur le marché. Pour illustrer cette démarche, on peut prendre l'exemple des Etats-Unis où l'intervention publique est strictement ciblée sur certaines catégories de la population. Dans ce pays, l'assurance publique est destinée à deux types de populations. Il y a d'abord le programme public Medicare qui couvre les personnes de plus de 65 ans soit 14% de la population et d'autre part le programme public Medicaid, qui s'adresse aux personnes les plus défavorisées ils couvrent 15% de la population. On peut d'ailleurs constater que certaines mesures de santé publique mises en œuvre par les gouvernements de droite étaient directement inspirées du modèle américain. Par exemple, dès 1994 les organismes regroupant les financeurs et les professionnels de santé appelés les HMO[2] ont développé un programme de régulation des dépenses de santé qui repose sur une gestion coordonnée des soins «Managed Care». Les HMO offrent un réseau de prescripteurs sélectionnés, souvent salariés des HMO, et dans lequel l'accès aux soins de spécialistes est contrôlé par un médecin généraliste « gatekeeper ». C'est bien ce modèle qui a été transposé en France par la droite au travers de la mise en place du système de «médecin traitant».
pays |
Population couverte par une assurance publique |
Taux de couverture des dépenses (%) |
Part des dépenses publiques dans les dépenses de santé |
Dépenses de santé en % du PIB |
France |
99.5 |
75 |
76 |
8.8 |
Allemagne |
92 |
92 |
72 |
8.5 |
Italie |
100 |
76 |
78 |
8.2 |
Suède |
100 |
94 |
88 |
8.6 |
Royaume Uni |
100 |
93 |
83 |
6.1 |
Etats-Unis |
44 |
61 |
42 |
16 |
Tableau : dépenses de santé, part du financement public, dépense de santé en % du PIB et population couverte par une assurance publique pour quelques pays de l'OCDE (source CREDES)
Une approche progressiste de la santé
Pour les socialistes, le bien « santé » est tout d'abord un bien particulier et les services de santé combinent un ensemble de caractéristiques qui leur confère un statut particulier et justifie une quasi gratuité des soins, c'est ce que l'on appelle la socialisation de la demande. En effet, la santé engendre des effets externes très forts sur le reste de l'économie. On peut considérer que les performances économiques d'une population dépendent de son niveau global de santé et réciproquement. Or un individu ne possède en général pas suffisamment d'information sur son état pour orienter sa demande de soin efficacement en terme économique. Dès lors, le déficit informationnel est tel que l'efficacité d'un système de santé repose essentiellement sur la capacité de l'assureur à se substituer au patient dans ses choix de consommation. Dans ce cadre, on est en présence d'une relation économique classique entre un acheteur qui représente l'intérêt général de ses clients ou sociétaires ou affiliés et un ensemble de producteurs constitués par l'ensemble des professionnels et les établissements de santé. Dans cette relation de délégation entre les patients et les assureurs de santé, l'intervention publique permet de garantir l'intérêt général et permet aussi de formaliser certaines obligations ou normes en matière de prévention ou de production de soin. Les justifications de l'intervention publique dans les systèmes de santé ne reposent pas seulement sur des considérations d'équité ou de redistribution. En effet, le rôle de la puissance publique dans le cadre de l'assurance maladie repose aussi sur l'existence entre autre d'asymétries d'information c'est-à-dire l'aléa moral[3] ou la sélection adverse[4] du coté de l'offre et de la demande de soin, l'existence d'effets externes (épidémies) ce qui engendrent des imperfections de marché. Clairement, le marché concurrentiel, le système de prix ne peuvent orienter correctement l'offre et la demande de soin car l'efficacité d'un tel fonctionnement concurrentiel exige que les individus puissent faire des arbitrages en connaissance de cause. C'est pour ces raisons que les systèmes de santé les plus libérales comme aux Etats-Unis admettent une intervention publique. Mais l'intervention de la puissance publique dans le financement de l'accès au soin ne peut être équitable et efficace que lorsqu'elle ne se limite pas à l'organisation d'une assurance santé.
Maintenant, l'analyse économique du fonctionnement du marché des services de santé permet d'identifier la présence de comportements stratégiques de la part des assurés comme des professionnels de santé. A titre d'illustration, dans le système français on peut constater les tendances à la surconsommation de certains actes ou biens médicaux, encouragée tant par les modes de rémunération des professionnels de la santé que par la forme de la prise en charge des patients. Ce constat suggère d'une part que l'étendu et le mode d'organisation de l'assurance publique peuvent avoir un impact important sur deux aspects du comportement des ménages : leur participation au marché du travail, leur recours aux soins et d'autre part que l'existence même d'une assurance publique engendre des conséquences redistributives lorsque les contributions au financement du système public sont proportionnelles aux revenus et ne dépendent pas directement des risques individuels. C'est précisément lorsque le financement public est basé sur le prélèvement proportionnel des revenus indépendamment des risques individuels que le système d'assurance maladie incorpore le principe de solidarité entre les affiliés. Toutefois même avec l'intervention publique dans la production de soin (système hospitalier, médecine de ville…), on assiste à un accroissement considérable de la part de la richesse nationale consacré à la santé. Celle-ci est passée de 5% du produit intérieur brut (PIB) dans les années 60 à 8-10% au début des années 2000. Cette caractéristique générale est commune à l'ensemble des pays développés avec une mention particulière pour les Etats-Unis pour lesquels « l'effort pour la santé » est passé de 5% en 1961 à plus de 15% du PIB aujourd'hui. Sur un autre plan, on peut également constater que la part des dépenses public dans les dépenses de santé varie beaucoup entre les pays développés entre 45% pour les Etats-Unis et 95% pour la Norvège. En France, les gouvernements de droites ont mis en œuvre des politiques de désengagement de l'assurance publique sous le prétexte fallacieux des contraintes budgétaires. D'ailleurs, cette augmentation relative du secteur privé ou de paiement direct par le patient n'a pas eu d'incidence significative sur l'augmentation générale des dépenses de santé. En revanche, Ce désengagement public a été à l'origine en France, d'un accroissement des inégalités d'accès au soin puisqu'une proportion non négligeable de français renonce à se faire soigner lorsqu'ils ne sont pas couverts par une mutuelle. Ce dernier phénomène porte le nom « d'effet revenu », et le rôle du revenu dans la demande de soin peut être mise en évidence par les comparaisons entre les pays. En effet, plus le PIB par tête croit et plus on assiste à une augmentation[5] des dépenses de santé, ce qui conduit à considérer la santé comme un bien « supérieur[6] ». En France, la plupart des études menées par l'INSEE et par le CREDES mettent clairement une différentiation de la consommation des soin en fonction des catégories sociaux professionnelles ou du niveau de revenu. Les principaux résultats montrent que les hauts revenus ont plus recours à la médecine préventive c'est-à-dire qu'ils consomment d'avantage de soin de ville que les bas revenus, ces derniers recourent d'avantage aux soins hospitaliers et notamment aux services d'urgence (faible recours à la médecine préventive). La dépense moyenne en médecine de ville est en grande partie liée au revenu de sorte que lorsque le revenu d'un français augmente, celui-ci a tendance à consulter davantage de spécialistes. On explique ce phénomène par un effet revenu : les classes sociales ayant un faible revenu ont tendance à repousser la dépense de soin dans le temps et à s'orienter vers l'hôpital car ils sont alors dispensés de l'avance de frais à la différence des soins de ville. Or les politiques de régulation des dépenses en santé menées par les gouvernements de droite successives reposent sur le désengagement de l'assurance maladie par l'utilisation des instruments de copaiement[7] comme les déremboursements… Ces politiques sont injustes et inefficaces ; d'abord injuste car elles pénalisent fortement les classes sociales ayant les bas revenus (effet revenu) et remettent donc en cause le principe d'équité dans l'accès aux soins, et inefficaces car les professionnels de la santé vont reporter les prescriptions faites aux hauts revenus sur d'autres biens ou services mieux pris en charge et à cause de la présence de complémentaires maladies.
Bref, une bonne régulation des dépenses de santé doit intégrer ensemble les objectifs en terme d'efficacité économique et d'équité dans l'accès aux soins. Considérant que le marché économique de la santé n'est pas un marché comme les autres. En effet, le patient consommateur de soins ne possède pas l'information suffisante pour orienter son choix de consommation de manière efficace, c'est-à-dire à obtenir le meilleur traitement au prix le plus faible possible de fait l'efficacité d'un tel marché impose l'existence d'une délégation de droit[8] du patient vers son assureur qui devient alors l'acheteur de soin auprès des professionnels et établissement de santé. La régulation respectera d'une part l'équité dans l'accès aux soins si l'assureur intègre correctement l'intérêt général des assurés et d'autre part une régulation efficace implique que l'assureur doit s'assurer d'un fonctionnement efficace des professionnels et établissements de soins c'est-à-dire qu'il obtienne le plus de services sanitaires possibles à ses affiliés aux conditions tarifaires les plus faibles. Dans ce cadre, seule une intervention publique est capable de respecter ces deux conditions.
Jean Fernand Nguema
[1] Un système de santé privé ne serrait efficient au plan économique en France à la condition que l'ensemble de la population française soit constituée exclusivement de médecins.
[2] Health Medical Organization
[3] On distingue principalement deux formes d'aléa moral ; dans cas de l'aléa moral ex ante, un individu assuré n'a pas d'incitation directe à se prémunir contre le risque maladie ce cas concerne l'effort de prévention du risque maladie on dit que l'assurance favoriserait les comportements pathogènes. L'aléa moral ex post fait référence à la consommation médicale une fois la maladie déclarée (nomadisme, multiplication d'examens…).
[4] Si l'information dont dispose l'assureur sur les assurés est imparfaite il résulte que la prime d'assurance ne peut être différentiée. Ainsi, les « bas risques » dont les cotisations subventionnent de fait les hauts risques sont incités à ne pas s'assurer.
[5] Cette augmentation est généralement plus que proportionnelle.
[6] Bien dont la consommation augmente lorsque le revenu s'accroît.
[7] Mécanismes qui utilisent ticket modérateur, le remboursement forfaitaire et les franchises.
[8] On parle d'une relation d'agence entre assureur et producteur de soins
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